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Vie privée

Diffuser le bulletin de paye d’un salarié, c’est une atteinte à la vie privée qui doit être réparée

Dans un arrêt du 20 mars 2024, la Cour de cassation rappelle qu’en cas d’atteinte à sa vie privée, le salarié peut réclamer des dommages et intérêts sans avoir à établir l’existence d’un préjudice. Ici il y avait eu atteinte à la vie privée d’un délégué syndical par la publication de ses bulletins de paye dans un tract d’un syndicat concurrent.

Le bulletin de paye, un document qui contient des informations relevant de la vie privée

Chacun a droit au respect de sa vie privée (c. civ. art. 9). L’application de ce principe ne s’arrête pas aux portes de l’entreprise et il joue donc dans les relations de travail, que ce soit dans les relations entre l’employeur et le salarié ou dans les relations entre les salariés eux-mêmes.

Le droit au respect de la vie privée est souvent invoqué en matière de surveillance des salariés ou lorsque l’employeur utilise des informations ou des documents relevant de la vie personnelle du salarié comme moyen de preuve dans un litige (par exemple, pour prouver une faute du salarié).

Mais s’il est un document de l’entreprise qui contient nécessairement des informations personnelles sur le salarié, c’est bien le bulletin de paye (nom et prénom, adresse personnelle, domiciliation bancaire, salaire, numéro de sécurité sociale, etc.). Sa diffusion ou sa production en justice par l'employeur ou un autre salarié pose donc la question de l’atteinte à la vie privée.

Par exemple, il a été jugé, dans le cadre d’un litige relatif à la répartition des salariés dans les collèges électoraux pour les élections du CSE, que la transmission par l'employeur à des syndicats des bulletins de paye de salariés, sans leur accord, dans leur version intégrale, sans occultation des informations personnelles, constituait une atteinte à la vie privée des intéressés (cass. soc. 7 novembre 2018, n° 17-16799 D).

Le bulletin de paye d’un délégué syndical reproduit dans un tract d’un syndicat concurrent

Dans l’affaire tranchée par la Cour de cassation le 20 mars 2024, il était question d’un conflit entre le syndicat CFDT et le syndicat CGT d’une société.

Le syndicat CGT avait reproduit dans un tract syndical intitulé « Les Corps Rompus à la Direction » plusieurs copies partielles du bulletin de paye du délégué syndical CFDT avec la mention suivante : « Notre délégué syndical CFDT a ainsi vu sa rémunération mensuelle brute progresser de 84,42 % en 9 ans ! »

Le délégué syndical CFDT et son syndicat avaient saisi la justice, notamment pour réclamer des dommages et intérêts pour atteinte à la vie privée.

Mais ils avaient vu leur demande rejetée par la cour d’appel au motif que, même si des informations relevant de la vie privée du représentant syndical avaient été transmises à des tiers sans son accord, ce dernier n’apportait aucun élément de nature à établir que la communication, à des tiers, du montant de sa rémunération aurait eu un effet quelconque en termes de réputation, de carrière, d'image au sein de l'entreprise.

La Cour de cassation censure cette décision sans détour.

Elle rappelle que selon l’article 9 du code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée et que la seule constatation de l'atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation (cass. soc. 7 novembre 2018, n° 17-16799 D).

Autrement dit, en cas d’atteinte à la vie privée, il n’y a pas à établir l’existence d’un préjudice pour obtenir réparation, celle-ci est de droit.

Par conséquent, la cour d’appel, qui avait bien constaté une atteinte à la vie privée du délégué syndical par la diffusion de ses bulletins de paye auprès de tiers, aurait dû faire droit à la demande de dommages et intérêts.

Cass. soc. 20 mars 2024, n° 22-19153 D